Sgraffito sur papier, tel est le titre que donne Agathe Eristov G.K. à une partie de ses travaux actuels commencés en 1983. Elle raye son papier, elle le griffe, le gratte, le grave, le burine, le scarifie. Elle provoque son papier en le respectant. Elle ne veut pas le détruire ; elle s’efforce de révéler en lui de nouvelles qualités. Elle le creuse, y ouvre, en quelque sorte, de petites mines à ciel ouvert. La pointe gratte, griffe, grave, égratigne, crisse, crée le gris, inscrit des graphismes, parfois trace des grilles qui organisent la surface.

 Agathe Eristov G.K. sculpte des livres. Elle les noue, les coupe, les trempe dans des liquides – dans du brou de noix. Elle en roule les pages ; ou elle les plie, créant par exemple des livres-éventails.

Avant de les modifier, elle tourne autour de ses livres, les regarde, les apprivoise. Elle tient compte de la nature de leur papier, de leur façon d’être reliés, ou brochés, des textes, de la typographie. Elle sculpte avec douceur. Elle aime trop les livres pour les brutaliser.

 

Gilbert Lascault, texte de l’exposition Livres sculptés, sgraffito sur papier, février 1987.

 



Ce livre d’une femme témoigne-t-il contre l’absence ? Et, dans ce foyer où les noms s’animent d’existences douloureuses, connaît-il d’autres raisons ?

Dès l’origine, des correspondances naïves se renouvellent par éclairs, et comme fiévreuses sur l’écran. Projection cardiaque, lyrique, fermée pour une voix qui respire par moments, par symboles. Dans cette suite verbale, les paysages augmentent le mystère, faux silences dans un dialogue du cœur : entre terre et ciel reparaissent les noms anciens, les signes, comme seules médiations possibles de l’instant.

Tout tient dans ces élévations vocales, incertaines mais nécessaires dans le vide. D’où la pluralité des espaces écrits, une parole souterraine dans ces apparences d’architectures et les lumières successives jusqu’à la cendre.

Est-ce l’expérience d’un passage ou d’un ciel inhabitable ? Nous ne saurons pas si les mots nombreux, la phrase noire, sont signes d’une perdition ou ce qui retient d’elle. Si l’entreprise était perdue, le livre rayonnerait encore de cette autre part dont il porte les traces nostalgiques.

 

Michel Orcel

Pour A. Eristov Gengis-Khan : Ville à Contre-pied



Où l'on pourra voir ...Agathe Eristov Gengis-Khan compose avec cordes, ficelles, cordonnets, les filets qui n'attrapent que la lumière, leurs mailles s'inscrivant dans l'espace comme une écriture au graphisme imaginaire. Reste une harmonie en beige et gris où le fil est lâche ou brusquement relâché par surprise. Une anti-oeuvre de la couture et du tricot, dérisoire et inutile où le trou, par sa percée d'air, a autant de valeur que le point répété depuis des générations...

 

Le nouvel Observateur, n° 632, 20-26 décembre 1976 « Les nouvelles Pénélopes » (à propos de l’exposition L’espace cousu, Féminie 76, UNESCO, Paris)



Inconditionnelle du cinéma, lectrice avide, arpenteuse d’expositions, de quais, de musées provinciaux, photographe insatiable, enseignante adorée par ses étudiants, elle détient une curiosité sans faille pour toute forme artistique même aléatoire. Mieux encore, elle innove.

« Le peintre seul et ceux qui savent voir ont accès dans l’espace magique ». (Victor Segalen) 

Depuis cinq ans, dans le secret de son atelier parisien, elle crée de l’insolite, du jamais vu.

A l’écoute de sa radio, l’oreille attentive aux soubresauts de la vie terrestre, elle momifie des feuilles, fabrique des carapaces, façonne des ovnis bleus, sphères non identifiées…

Elle est la seule à dessiner ces personnages aux regards lucides, avec leurs chevelures folles, de grands pieds, les mains happant le vide, aériens ou cernés d’ombres. Paisibles ou angoissés, solitaires ou en grappes, ils surgissent, éphémères, pour témoigner.

La seule aussi à peindre, lacérer, recoudre, trouer des voûtes célestes, des territoires cachés, « un ravin sombre plein de nuit » et à vous emmener flâner en tapis volant au-dessus de ses planètes inconnues, silencieuses « comme les prairies des plateaux inaccessibles » (Victor Segalen).

La seule encore à emprisonner des dragons dans des boîtes, à dresser des momies sur des cubes, à faire planer des météores, piailler des oiseaux sur des rouleaux ancestraux…à dévier, remanier, reconstruire notre monde en morceaux. 

I.G. 2009