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Agathe, 22.XI.2014, pendant une chimiothérapie

 

L’éléphant blanc

 

Si je vous dis : ne pensez pas à l’éléphant blanc, vous allez y penser pendant très longtemps, dans un premier temps avec acuité, puis de manière diffuse, inopinée. Il va désormais habiter définitivement en vous, dans votre tête.

Parce qu’un éléphant, c’est gros, imposant, ça prend de la place ; et parce qu’il est blanc, donc plus visible dans son décor naturel : la jungle, la forêt, le zoo, ou le cirque – mais moins s’il se promène contre des murs blancs, dans la neige, s’il marche entouré de draps blancs.

Si je vous dis de ne pas penser à l’éléphant blanc, vous allez trouver de bonnes raisons d’y penser. « C’est le vide qui contraste avec le plein dans une sculpture ». Il est évident et on ne le voit pas. Il est inhérent à la forme, mais on n’y pense que si on réfléchit.

L’éléphant blanc auquel vous n’aviez jamais songé revient maintenant à maintes occasions.

Ne pense pas à l’éléphant blanc – et vous y pensez obligatoirement.

Contrairement à l’éléphant rose, à l’éléphant dans un magasin de porcelaines.

Il est blanc, il ne ressemble pas à un chapeau comme le dessin du Petit Prince, ni aux éléphants gris des abécédaires. Il n’a, avec Babar et sa famille, que le mot éléphant en commun.

Ne pense pas à l’éléphant blanc – j’y pense, forcément. J’essaie de le chasser en pensant à autre chose, en m’éloignant tout doucement, en imaginant la forêt vierge, les arbres, les parcs zoologiques, en imaginant les formes des arbres, leurs couleurs, les lianes, les autres animaux.

Mais non, il est là, blanc, au détour d’un sentier.

Ne pense pas à l’éléphant blanc. 

C’est qui, l’éléphant blanc ? C’est ce à quoi je ne veux pas penser. Et à quoi je pense malgré moi.

J’ai des échappées vers les zoos et les cirques, les décors reconstitués ou sinistres, les rochers factices, les chapiteaux rouges et jaunes.

On le voit très bien, blanc, l’éléphant.

Ne pense pas à l’éléphant blanc. 

C’est l’équivalent de :  Ne pense pas à un bout de pain en passant devant une boulangerie qui sent bon, et que tu as faim.

C’est l’équivalent de : Ne pense pas à tes pieds quand tes chaussures te font mal et qu’ils (les pieds) sont déjà pleins d’ampoules.

C’est l’équivalent de : Ne pense pas au bouton que tu as sur le nez ; ne pense pas à la tache de gras qui macule ton tee-shirt ; ne pense pas au renard spartiate qui te grignote l’estomac ; ne pense pas au voisin qui essaie d’apprendre à jouer du violoncelle ; ne pense pas à la lumière (au gaz, à l’eau) que tu as peut-être oublié d’éteindre en sortant.

Ne pense pas à l’éléphant blanc, ni à ce qui pourrait arriver ;

 

A la phrase qu’il aurait fallu dire, qu’on aurait dû dire, et qu’on n’a pas dite ;

Aux conséquences de ces mots non-dits, blancs ;

A la phrase qu’on a dite et dont les mots ont débordé – et aux conséquences de cette phrase dite.

Ne pas penser à l’éléphant blanc c’est ne pas penser à la liste des choses à faire ;

Au retard qu’on va avoir et à ses suites ;

Au travail qui reste à exécuter avant l’échéance.

 

Ne pas penser à l’éléphant blanc, c’est y penser sans arrêt.


Silences - 1978


Texte D'Agathe Eristov Gengis-Khan

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